Viticulture Le bonheur est dans la vinasse

Enfin, la semaine de beuverie ininterrompue entre Noël et la Saint Sylvestre s’est achevée. Vous ne pouvez plus voir d’huitres, de pintades ou de marrons chauds en peinture ? Vous en avez marre de vous taper les restes ? Il vous faut du fluide, du léger qui glisse tout seul dans le gosier ? Ça tombe bien parce qu’aujourd’hui on va parler de picole. De vin pour être plus précis.

Et attention hein, pas de villageoise ou de la dernière piquette à 2€ achetée au fin fond des rayons d’Auchan. Non, môssieur ! Ici on respecte l’art séculaire et noble de la bonne vigne. Merlot, Sauvignon, Malvasia, Sangiovese, Chardonnay, tous ces cépages qui fleurent bon le soleil, la France et la méditerranée… Quoi ? L’Italie ? Ben, ça tombe bien, montez dans ma DeLorean, je vous emmène en Toscane à l’époque où le savoir-faire des excellents vignerons se transmettait de père en fils. Vous allez vite vous y plaire.

 

Viticulture est donc un jeu de gestion du trio Stegmaier, Stone et Pedersen, pour 1 à 6 joueurs, où l’on va produire notre vin italien et faire prospérer notre exploitation au fil des ans. Pas question ici de réinventer la roue, on est dans du placement d’ouvrier pur jus avec des cartes qui apporteront juste ce qu’il faut de hasard pour dynamiser les planifications les mieux rodées et surfer sur les opportunités. Parce qu’effectivement, le thème étant très fortement au cœur du jeu, produire du vin c’est bien, le vendre, c’est mieux.

Ainsi, chaque joueur dispose sur son plateau personnel d’une représentation de ses champs de vignes et de ses installations qui vont lui permettre d’obtenir en bout de chaîne le précieux breuvage. Le plateau principal représente alors la mécanique centrale du jeu : une échelle du temps et un ensemble d’emplacement d’actions séparées en deux saisons, l’été et l’hiver, où les joueurs devront envoyer bosser leurs ouvriers. La partie est ensuite divisée en années et en autant de saisons qu’il en faut pour atteindre les 25 points de victoire qui représentent la réputation de la maison du joueur. Le but est d’y parvenir en premier pour mettre fin au jeu et procéder au décompte final. Le meilleur score à la toute fin de la dernière année l’emporte, bien évidemment.

 

Pour toi, papa !

En Toscane, on n’est pas la moitié d’une feignasse. Tout commence donc par notre héritage. Papa et maman, qui fleurent bon les envahisseurs britanniques venus exploiter l’indigène, ont bien trimé toute leur vie et nous lèguent leurs biens avant de passer le relais. Chaque joueur reçoit en début de partie une carte Maman et une carte Papa qui, combinées ensemble pour former le médaillon qui pendra à notre cou et qu’on regardera de temps en temps d’un petit air nostalgique, nous attribueront à chacun notre argent, nos ouvriers et nos installations de départ. Premier choc, les cartes sont superbes et on est déjà fier de notre ascendance avant même de commencer. Ou pas. Deuxième choc, tout le monde ne commencera pas avec les mêmes armes, bienvenue dans le monde réel !

Viticulture cartes famille.

On ne choisit pas sa famille… Ici maman nous donne 2 ouvriers, 1 carte violette, 2 cartes bleues et papa lâche sa thune, un ouvrier et un cellier ou encore plus d’argent, au choix.

Ensuite commence véritablement la bataille. Au printemps, les joueurs coachent leurs ouvriers et préparent leurs plannings de l’année. Le joueur qui fera se lever ses ouvriers le plus tôt, sera le premier à les placer lors des autres saisons. Et pour contrebalancer cet avantage que l’on sait décisif dans ce genre de jeu, plus les autres choisiront de se lever tard, plus les joueurs bénéficieront d’un coup de pouce conséquent (des sous, des cartes, et même un intérimaire en renfort). L’échelle de temps organise donc l’ordre du jeu pour l’année en cours. Dilemme avant même de commencer : vaut-il mieux assurer ses futurs placements avant les autres ou prendre ce petit bonus qui vous fait de l’œil avec la bouche en cœur ? Rassurez-vous, chaque année, un nouveau printemps viendra bousculer l’ordre du jeu.

Quatre saisons pour une année entière

(et quelque part, sûrement, un ouvrier qui m’attend)

En été, il faut préparer son exploitation. On plante ses vignes, on construit ses bâtiments essentiels, on fait visiter les cépages aux touristes qui nous le rendent en espèces sonnantes (la lire italienne bien sûr) et on peut même vendre son raisin si on est vraiment à la dèche. Mais attention, il ne s’agit pas ici de dépenser tous ses ouvriers qui, une fois placés ne sont récupérés que l’année suivante ! Il faut en garder pour l’hiver où, là, il s’agira surtout de lancer les vendanges, presser son vin pour remplir son cellier, réceptionner et honorer les commandes de ses clients. Et entre deux bouteilles de blanc, rouge, rosé ou mousseux, on pourra aussi former de nouveaux apprentis qui viendront grossir les rangs à l’été prochain.

 

Viticulture plateau

Le plateau central où se décident les actions des saisons (les cercles jaunes : été, les cercles bleus : hiver) et l’échelle de l’heure du lever (le petit coq à gauche)

 

A la fin de l’année, chacun récupère ses ouvriers, reçoit ses revenus des clients fidèles et réguliers et évacue l’échelle de temps. Le jeton « premier joueur » passe à son voisin. A lui de commencer la nouvelle phase de printemps et de choisir son planning !

Thématiquement, le jeu est un régal. On fait véritablement pousser ses vignes, on ramasse son raisin, on le presse et on fait vieillir notre vin dans nos caves. Chaque année, il va prendre de la valeur, ce qui nous permettra peut-être, à terme, de satisfaire les clients les plus exigeants puisque les visiteurs sont la seule façon de marquer des points. Et c’est en automne que tout peut se jouer.

 

Viticulture plateau individuel

Le plateau individuel avec les vignes au fond, les raisins dans les pressoirs en bas à gauche et le cellier où vieillit le vin à droite

What ? Du hasard dans mon jeu de gestion !?

Rangez les fourches, j’ai volontairement zappé cette saison jusqu’à présent parce qu’elle représente à elle-seule, la deuxième moitié de la mécanique du jeu : les cartes. En effets, toutes les variables dans la production du vin sont représentées sous forme de cartes. Les vignes, en premier lieu, qui sont tirées du paquet au dos vert. Sur chacune d’elle, un ou deux pieds de raisin blanc et/ou rouge d’une certaine qualité. A nous de les planter ou non dans nos champs en fonction de nos besoins. Ensuite, nous avons le paquet violet, celui des commandes des clients. On peut les voir comme des cartes d’objectifs. Une carte violette donnera un certain nombre de PV et une rentrée d’argent régulier en échange d’une à trois bouteilles de vin de couleur et de qualité spécifiques. Ces deux types de cartes peuvent être piochés respectivement en été et en hiver, par nos ouvriers.

Il y a par contre 2 autres types de cartes qui ne sont données qu’une seule et unique fois par an. En effet, à l’automne, chaque joueur va pouvoir piocher une seule carte au choix : une carte visiteur jaune (visiteur d’été) ou bleue (visiteur d’hiver). Thématiquement, encore une fois, les visiteurs d’été vous octroieront généralement des bonus pour vos plantations ou pour remplir votre tiroir-caisse puisqu’ils ne pourront être joués qu’en été, période où l’on s’occupe de nos champs (vous suivez ?). A l’opposé, les visiteurs d’hiver vous donneront des avantages pour trouver de nouveaux clients, honorer vos commandes ou écouler votre stock d’invendus puisqu’on ne pourra faire appel à eux qu’en hiver, période des vendanges et de la mise en bouteille.

Si l’idée d’avantages donnés par le hasard du tirage des cartes commence à faire grincer des dents, sachez que toutes les cartes sont différentes et assez bien équilibrées. De plus elles ont été conçues pour être multi-usage en proposant deux capacités au choix. En principe, il s’agit de choisir entre un avantage d’action ou un bonus de PV. Elles ne sont donc jamais inutiles mais ouvrent juste au contraire des perspectives qui seront toujours favorables à un instant T. Tout l’intérêt et de savoir s’il vous faudra tendre vers la réalisation de cet instant ou s’il est préférable pour vous de vous en passer et/ou d’attendre d’en piocher de nouvelles.

 

Viticulture composants

Alors ?

Encore une fois, moi qui aime les jeux simples et profonds, je dois dire que j’ai été conquis par ce Viticulture.
Le matos est chatoyant, on a des meeples partout de toutes les formes (un petit moulin, un coq, le saisonnier avec son petit panier sous le bras…), les illustrations délicieusement rétros sont superbes, le plateau et les cartes glacées sont épais et transpirent la qualité, sans compter l’utilisation des petites gemmes en verre qui font office de loupe pour voir la valeur du raisin ou du vin en transparence et qui me donnent envie de hurler au génie.

Et je ne vous ai même pas parlé du système de bonus d’action puisqu’il y a plusieurs emplacements d’ouvriers disponibles pour la même action. Seul le premier arrivé sur un lieu pourra choisir de prendre un bonus ou de le laisser aux suivants. Je ne vous ai pas parlé non plus du Grand Ouvrier, un super meeple qui ignore le blocage des autres joueurs et peut se placer n’importe où dans la saison en cours, une sorte de joker annuel unique absolument génial pour éviter de voir vos plans s’effondrer sur un malentendu. Saurez-vous l’utiliser à bon escient ?

Quant au hasard, il est bien là mais est parfait pour renouveler les parties, surtout qu’il est très bien calibré et favorisera les opportunités planifiées plutôt que les gros coups de chance. Le jeu est de toute façon pensé comme ça. C’est du placement d’ouvrier classique associé à la gestion de cartes aléatoires. Faut-il faire avec une main moyenne ou perdre des actions à piocher de nouvelles vignes ou de nouvelles commandes ? Tout sera question de planification, prise de décision et surveillance de ses concurrents pour se placer le mieux possible avant la dernière année qui sera de toute façon provoquée intentionnellement ou non par un joueur… Jouerez-vous la montre ou temporiserez-vous vos ardeurs pour rafler le maximum de points au dernier tour ?

Et si vraiment les autres vous énervent et font rien qu’à vous piquer vos cartes, il y a aussi un mode campagne solo intégré où l’on se mesure à un deck d’actions préétablies, avec objectifs de points façon Agricola.

Tout ça avec le bon goût de se plier en moins de deux heures. Bref, en trois mots pour qualifier Viticulture : un grand cru. Hu-hu !
Bon, ok c’était facile, je sais. Mais achetez-le quand même, vous ne regretterez pas, vous verrez. Il est par-fait.


 

My vineyard is rich !

Ah. J’oubliais. Viticulture n’existe qu’en version anglaise…

Une version française est envisagée pour bientôt ™ mais le jeu est tellement peu dépendant du texte qu’il serait dommage de s’en priver. Au pire, une page recto/verso de traduction des 76 cartes visiteurs suffit à compenser les hésitations sur certaines formulations. J’ai même vu des personnes mal à l’aise avec l’anglais s’en sortir sans aucune aide, alors, hein, bon. De plus la vf des règles est dispo sur le site de l’éditeur. Alors vous n’avez plus d’excuse pour ne pas vous y mettre, canaillous.

 

Tais-toi et prends mon argent !

Merci. Par contre, je dois reconnaître une certaine jungle entre les versions du jeu qui existent.

Alors petit guide pratique :

Viticulture 1ère édition (mars 2013) : le jeu de base brut de décoffrage, avec quelques soucis d’équilibrage, de toute façon introuvable en neuf, alors on zappe sans état d’âme.

Viticulture 2ème édition (juillet 2013) : le jeu de base dans sa dernière révision par l’auteur, rééquilibré et qui tourne au poil. C’est la version qui a servi d’appui pour l’extension Tuscany.

Viticulture Essential Edition (fin 2015) : la version qui est présentée ici, avec le couple dessiné sur la boîte. C’est la deuxième édition mais révisée et customisée par, excusez du peu, Uwe Rosenberg, le papa d’Agricola. Il a viré les cartes les moins intéressantes, modifié les autres et choisi des éléments de l’extension Tuscany qui tournent suffisamment bien pour les incorporer au jeu de base (les cartes d’héritages, le mode solo, les champs vendables, certaines cartes visiteurs). Il se murmure qu’un pack de mise à niveau vers les autres modules de Tuscany serait en chantier pour ne pas léser les possesseurs de cette Essential Edition.

Tuscany : un mot sur cette extension pour la 2ème édition du jeu de base qui rajoute plein de truc, dont une espèce de mode Legacy où les modules optionnels s’ajoutent partie après partie, où on peut aussi faire pousser des patates, remplir des objectifs secrets ou produire du vin pour la mafia. Tout un programme. Est aussi compatible avec l’Essential Edition mais vous aurez quelques cartes en double, du coup.

Donc pour résumer, mon conseil :

« Raaaah, je veux tout, tout de suite ! » -> prenez la 2nde édition + Tuscany.
« Raaaah, je veux l’équilibrage ultime et l’expérience de jeu optimale ! On verra plus tard pour l’extension » -> prenez l’Essential Edition.

Et bonne dégustation.

 

Crédits images : stonemaiergames.com, boardgamegeek.com, wanderingdragon.com

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