Cinquième jeu de Shadi Torbey, basse-baryton de métier, et auteur belge de jeu de société à ses heures perdues, Nautilion prolonge la gamme de l’Onivers, ensemble de jeux situés dans un univers onirique, dont font déjà parties ses précédentes créations, et toujours parfaitement illustré par Élise Plessis. Edité chez Filosofia.
L’Onivers
Le tout premier jeu édité de Shadi Torbey, Onirim, nous plongeait déjà dans cet univers fantaisiste rempli d’étranges formes et couleurs. On y sombrait entre rêves et cauchemars. Le jeu, essentiellement composé de cartes, nous proposait une expérience solitaire (une sorte de réussite modernisée) mais aussi coopérative (à deux joueurs). Le tout enrobé dans des règles simples et des parties courtes, avec la possibilité d’appliquer une ou plusieurs extensions (fournies avec le jeu) ajoutant profondeur et difficulté. Le reste de la gamme a par la suite conservé ces diverses particularités : jeu solo / à deux, temps de jeu court, multi extensions intégrées, etc. Le tout dans une belle cohérence visuelle, puisque la collaboration fut renouvelé à chaque fois avec l’illustratrice. Citons donc également dans l’ordre chronologique Urbion (ex Equilibrion), Castellion, Sylvion, et enfin Nautilion sorti fin 2016.
Présentation
Nautilion nous plonge cette fois dans les profondeurs des mers de l’Onivers. A bord de notre sous-marin onirique (un Nautilion), nous allons devoir sauver les habitants marins et sous-marins de l’Onivers des griffes du Phare Obscur et de son sous-marin fantôme. Cela prend la forme d’une sorte de course contre la montre dans laquelle notre submersible doit atteindre les Abysses avant que l’ennemi ne parvienne aux Îles Bienheureuses.
Voilà pour la pitch de départ.
Le matériel
Le jeu se présente dans une petite boîte carrée aux proportions identiques à celles de Castellion, Sylvion et de la réédition d’Onirim. Et ce qu’elle cache est encore une fois superbement édité. On a droit à des panneaux successifs, ici sous forme de vagues, qui, une fois dépliés, nous mènent sur ce qui est à l’heure actuelle le matériel le plus varié au sein de la gamme. Seul Castellion s’était affranchi des cartes (même s’il en subsiste quelques unes) en employant massivement des tuiles comme élément principal. Nautilion lui, nous propose de nombreux jetons en carton (de tailles diverses), des plateaux pour les sous-marins (et les figurines en carton correspondantes), une trentaine de cartes, et trois dés. Sans oublié l’habituelle figurine du némésis, cette fois le Phare Obscur. L’ensemble est de bonne qualité, et trouve parfaitement sa place dans le thermoformage.
Fonctionnement
Le principe de base des règles est de faire avancer son sous-marin jusqu’à la dernière case (les Abysses) d’une piste composée de jetons équipage. Deux contraintes supplémentaires s’imposent pour gagner. D’une, il est nécessaire de rejoindre les Abysses en ayant formé un équipage complet (recruté au fur et à mesure du parcours). De deux, il faut réussir tout cela avant que le sous-marin fantôme, parti des Abysses, n’arrive à la case de départ (les Îles Bienheureuses).
La piste arpentée par les sous-marins est créée avant la partie à l’aide de l’ensemble des jetons équipage disposés aléatoirement entre le jeton de départ et celui d’arrivée (on peut par exemple le faire sous forme d’une spirale telles les sortes de nautiles dessinés au dos des jetons). Les jetons équipage possèdent tous un numéro (de 1 à 9) et sont présents chacun en 4 exemplaires identiques.
On choisit un des six Nautilion disponibles (de forme et difficulté différentes, mais toujours avec neuf emplacement de membres d’équipage) dont on met le plateau devant soit, et on est parti.
Chaque tour de jeu se compose de cinq phases.
Les Courants
On lance les 3 dés (dont les faces sont : 1, 1, 2, 2, 3 et 4).
La Planification
On répartit les dés entre le Phare, le Fantôme, et le Nautilion (un sur chaque).
Le Phare
On applique le ndé ndu Phare. Un 3 ou un 4 oblige à se défausser d’un jeton dont on dispose en réserve ou alors présent sur son plateau sous-marin. Evidemment la seconde option n’est guère satisfaisante (pour rappel, il faut remplir l’équipage de son sous-marin) !
Le Fantôme
On applique le dé du fantôme. La valeur fait avancer celui-ci en direction du départ d’autant de cases sur la piste. Puis le jeton sur lequel il termine son déplacement est défaussé.
Le Nautilion
Tout comme le fantôme, la valeur du dé assigné au nautilion le fait avancer sur la piste mais en direction de la fin. Le jeton sur lequel il arrive est récupéré selon deux options : il peut être conservé dans sa réserve ou alors placé sur son plateau sur l’emplacement dont le numéro correspond (si libre).
Une contrainte entre en jeu à ce moment. Les emplacements d’équipage sont reliés entre eux par des conduits d’aération formant un maillage. Le premier jeton posé peut être n’importe lequel, mais les suivants doivent être adjacents (comprendre reliés) à un autre déjà en place. Le maillage étant différent sur chaque nautilion, on comprend qu’il est plus ou moins évident de recruter son équipage. L’ordre de récupération des jetons est donc important. C’est une donnée qu’il faut prendre en compte lors de la planification en observant attentivement l’ensemble de la piste.
Vous l’aurez compris, le nombre de cases diminue au fur et à mesure de l’avancée des deux engins. Raccourcissant par la même petit à petit les distances entre les objectifs respectifs, jusqu’au croisement des deux principaux protagonistes. Il faut ainsi faire attention à toujours avoir la possibilité de récupérer chaque membre d’équipage. Si un numéro d’équipage manquant n’est présent que derrière soit parce que le reste a par exemple été supprimé par le fantôme, ça sent le roussi ! Mais il reste un espoir ! Le Grimoire.
Le Grimoire est simplement une carte, placée devant soi, qui résume trois sorts toujours accessibles, qu’on peut déclencher lors de la première phase (les courants) de chaque tour après avoir lancer les dés.
Le premier sort, le tourbillon itératif, permet de relancer les trois dés. Si le résultat ne nous satisfait pas du tout ça peut être très utile, mais bien sûr un tirage encore pire peut subvenir.
Le deuxième, la marée artificielle, permet de s’en remettre un peu moins au hasard en choisissant la face d’un des trois dés.
Enfin le troisième, la translation aquatique, sert à inverser la position de deux jetons présents sur la piste.
Et là vous me dites, par rapport à mon exemple précédent, youpi nous sommes sauvés ! Sauf que, bien entendu, ces sorts ne sont pas gratuits. Ils réclament tous de défausser un ou deux (selon le sort) jetons de sa réserve (qui ne sert donc pas uniquement à se protéger du Phare). Attention donc à en disposer en permanence pour prévenir tout coup du sort (sachant qu’on démarre la partie avec quatre jetons en réserve, ou plus, ou moins selon la difficulté qu’on souhaite s’imposer).
A deux joueurs, le jeu s’adapte légèrement (peut être pas assez, mais j’y reviens plus bas). Les joueurs ne dirigent toujours qu’un seul et même nautilion, et vont effectuer l’ensemble d’un tour normal chacun leur tour. Ils se partagent les jetons en réserve, mais chacun possède une carte lui indiquant quels membres d’équipage (1 à 5 ou 5 à 9) il peut recruter à son tour. Ainsi, le nautilion terminant sur un jeton qu’on ne peut pas recruter, finira dans la réserve commune.
Vous savez tout sur les règles de base.
Nautilion ne fait pas exception car tout comme les autres jeux de l’Onivers, il propose plusieurs extensions, mixables à l’envie. Elles sont au nombre de cinq. Sans trop entrer dans les détails, une ajoute des événements en début de tour (généralement néfastes mais connus d’avance), une autre offre des super pouvoirs à usage unique mais qu’il faut obligatoirement avoir déclenchés avant la fin de la partie en sacrifiant son équipage, et les trois autres mettent en avant chacun des trois types d’équipage. Une ajoute des magiciens à la piste. Il faudra les recruter sur un plateau annexe, auxquels on pourra y combiner certains jetons d’équipage pour bénéficier de le leurs pouvoirs, mais ajoute une obligation pour gagner. Une autre, arme les deux sous-marins à l’aide de mercenaires (et de certains équipages), en vu d’un harponnage lors de leur croisement sur la piste. Et enfin avec la dernière on voit apparaître des écueils, évidemment dangereux, et certains jetons équipage aux compétences affûtées en navigation nous seront d’une précieuse aide pour les esquiver.
Chacune d’elles augmente plus ou moins la difficulté en jouant sur les paramètres supplémentaires en prendre en compte lors de ses choix. Parfois elles demandent quelques manipulations, allongeant et complexifiant le jeu (mais de façon très légère individuellement). Elles sont toutes intéressantes, car cassent la routine de la grande simplicité des règles de base. Comme aucune n’en exclut une autre (au contraire même, parfois les règles précisent comment les combiner), il est possible de faire des parties “épiques”.
Mon avis
J’apprécie les jeux de Shadi Torbey (il n’y a qu’Urbion que je ne connais pas, et je n’ai pas encore approfondi Sylvion). Je ne suis habituellement pas amateur de jeux solo mais le format de cette gamme est appréciable. Petite boite, vite mis en place, vite joué (notamment Nautilion, comptez une vingtaine de minutes avec la mise en place), plus la possibilité d’ajouter un peu de challenge selon l’humeur, voire de le proposer facilement à un coéquipier.
Et puis cet univers dont je ne me lasse pas. Sous des airs de dessins enfantins se cache pas mal d’imagination, en parfaite harmonie avec le côté onirique. C’est très particulier, j’en suis conscient, mais aussi ravi qu’on s’éloigne d’un certain graphisme générique en diable censé plaire au plus grand nombre. Sans atteindre la sublime évolution de l’aire de jeu de Sylvion (avec ses incendies), Nautilion fonctionne parfaitement bien avec ses ravissants petits sous-marins.
C’est à mon sens un jeu un peu plus simple et rapide que Castellion et Sylvion. Les choix tactiques à court termes ne sont pas très étendus (assigner un dé à trois éléments), mais il se font avec une bonne lecture du jeu sur le long terme (la stratégie), et parfois une très légère audace. Car au delà du tirage des dés (façonnable comme on l’a vu), peu de hasard entre en compte lors d’une partie. On a surtout des éléments placés et connus. On pourrait rapprocher la piste sur laquelle les sous-marins évoluent avec par exemple la pioche d’Onirim. A la différence que la première est entièrement connue et que l’autre très peu. Et même topo avec les extensions, dont tous les éléments supplémentaires sont “étudiables” afin de jouer au plus juste. Du coup, même si la réserve de jetons est importante en cas de coup dur, elle ne l’est sans doute pas autant que les clés d’Onirim ou les tuiles bleues de Castellion, indispensables pour contrer l’aléa omniprésent.
A deux joueurs, j’y reviens, même si je n’ai pas encore pu essayer cette configuration, j’ai l’impression, sur le papier, que Nautilion propose une variante moins intéressante que les autres jeux de la gamme. On joue avec les mêmes éléments (on se les partage tous) et on a simplement une contrainte supplémentaire (la limitation de recrutement) contrebalancée par des jetons en plus en réserve au début de la partie. Ça demande un peu plus de planification (savoir quel jeton récupérer à quel tour), mais n’ajoute pas vraiment d’entre-aide entre les joueurs. Ça s’apparente plus à une variante augmentant la difficulté, qu’à un jeu réellement coopératif comme le propose davantage Onirim ou encore Castellion.
A tester tout de même à l’occasion, mais les autres jeux auront je pense leur préférence pour une partie à deux.
Pour conclure, Nautilion, c’est bien, c’est frais, ça se joue facilement avec un matériel très agréable qui se trimballe en vacances ou en déplacement. Un point d’entré sympa dans la gamme, moins hasardeux qu’un Onirim, mais pas forcément celui à conseiller pour y jouer souvent en duo.