Il existe des jeux qu’il ne vaut mieux pas sortir en famille. Le genre de belle saloperie qu’il faudrait oublier au fond d’une armoire, à côté d’une tablette de Ouija. Le genre de jeu qui fait ressortir toute la noirceur d’une âme, toute la perversité d’un être pourtant aimé, bref toute la filsdeputerie latente en chacun de nous.

Bref, vous avez choisi d’offrir C’est moi le Patron ! (I’m the Boss dans la langue de Donald Trump) à votre frère/ oncle/ arrière-grand-mère paternelle Gisèle et vous allez amèrement le regretter.

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Ce qui frappe en premier lieu dans ce jeu de plateau de Sid Sackson, c’est sa grande laideur des illustrations et la pauvreté du matériel. Mais ne t’inquiète pas fidèle lecteur : tu t’en doutes la beauté est ailleurs. C’est moi le Patron !  fait partie de cette catégorie de jeux où le matériel n’est qu’un cadre formel pour l’exécution de l’exercice ludique, car au-delà du plateau sommaire, des quelques tuiles basiques, du paquet de cartes, des billets et des dés qui le composent, le jeu repose essentiellement sur de la négociation acharnée entre les joueurs. Oubliez le discours Win-win mielleux et hypocrite dispensé dans les grandes écoles de commerce : on est ici pour entuber son prochain, dans la joie et l’allégresse.

La mécanique ludique est rudimentaire : on lance un dé, puis on atterrit sur une tuile affaire. Cette affaire peut être conclue en présence d’un certain nombre de familles influentes dont il faudra réunir un membre pour achever la transaction et empocher le pactole. Pour ce faire, chaque affaire nécessitera une phase de négociation et de combines de partage d’intérêts, d’alliances bancales, menaces et coups tordus. Pour ne rien arranger, les cartes permettent de faire capoter certaines affaires par des effets pervers tels que C’est moi le Patron ! (qui a donné son nom au jeu si vous suiviez un tant soit peu) qui autorise un joueur mis à la marge de devenir l’acteur principal des négociations et de renverser la vapeur. On aboutit donc bien souvent à de belles petites foires d’empoignes où les deus ex machina et les coups pendables surviennent encore plus fréquemment que dans un épisode de Game of Thrones.

Au regard de ces quelques explications, je serais cependant bien mal avisé de ne pas vous mettre en garde : ce jeu peut-être extrêmement bancal.

Aussi je conseille 3 points essentiels :

  1. De choisir les joueurs avec soin ;
  2. De bien prendre le temps d’expliquer le sel du jeu et mettre les joueurs en condition ;
  3. De le sortir légèrement désinhibé.

En effet, la plupart des personnes avec qui j’ai eu le plaisir de jouer sont prudentes, réticentes, timides et sans doute un poil trop honnêtes pour pratiquer un jeu où le but ultime et d’incarner le salaud splendide, l’enfoiré suprême.

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Après la dinde aux marrons et la buche de noël aux relents de beurre, il sera bien difficile de faire la part des choses et ne pas considérer votre cousin Gontrand comme un rival potentiel dans vos magouilles ignobles visant à récupérer la totalité de l’héritage de cette bonne vieille Gisèle.

Bref, pour foutre le zbeule et gâcher un 25 décembre ennuyeux, rien de mieux qu’une bonne grosse partie de C’est moi le Patron !.

 

Il fut un temps pas si lointain (ce que j’aime à penser, ne me contrariez pas s’il vous plaît), j’étais un petit garçon. Un petit garçon aux yeux écarquillés, minuscule et hésitant, en train d’escalader tant bien que mal une armoire à jeux afin d’en extraire une saine occupation pour un après-midi hivernal en famille. Les nombreuses boîtes en carton, jaunies et poussiéreuses, étaient autant de vestiges d’une époque révolue, où ma tante, mon père et mon oncle s’écharpaient des heures durant afin de déterminer qui serait le magnat de l’immobilier le plus riche, le meilleur stratège militaire ou le premier à parcourir 1000 kilomètres, le tout sans mettre un orteil en dehors du salon.

La nostalgie est une garce

Monopoly, Cluedo, La bonne Paye, Le Mille Borne, Risk, tous ont un dénominateur commun : un gamedesign d’un autre temps. Ces jeux de société à fort tirage sont issus d’une période lointaine où l’on considérait le hasard comme unique composante récréative, justifiant l’emploi de mécaniques pauvres où la notion de rythme, challenge et durée étaient parfaitement accessoires.
Nos parents, dans leur refus timide de s’embarquer des heures durant dans un jeu de société rébarbatif, l’avaient déjà compris à leurs dépens : malgré un statut culte, ces jeux n’amusaient paradoxalement plus leurs joueurs depuis longtemps. Il n’y avait donc guère qu’un regard infantile capable de trouver de l’intérêt dans l’installation de ce vieux plateau de Monopoly écorné.
Puis vingt années ont passé, et beaucoup de choses ont changé.

Le jeu de société est mort, vive le jeu de société !

Le petit garçon a mûrit, le jeu de société aussi. Des titres fondateurs tels que Carcassonne ou Les Colons de Catane ont posé les fondamentaux d’une nouvelle génération de jeux de société, et communiqué au genre l’engouement et l’énergie nécessaire à toute révolution digne de ce nom. Pour autant faut-il dédaigner ces vieux dinosaures archaïques ? Non, absolument pas : ils demeurent les pionniers du jeu de société populaire, une première incursion du ludisme dans toutes les chaumières. Sans eux, il n’y aurait certainement pas de Cathala ni de Rosenberg aujourd’hui.

En 2016, il apparaît néanmoins difficile d’encourager son entourage à se procurer des copies modernes de ces antiquités, tant elles ont brillé par leur immobilisme. De toute façon, pour être honnête, Hasbro et consort n’ont pas besoin de vous pour en écouler des palettes… Et pourtant, je reste intimement persuadé que ces objet de consommation de masse ont plutôt un effet pervers sur le client, qui sera déçu de ne retrouver ni le plaisir ni l’émerveillement qui l’animaient enfant.

Tout ce que nous pouvons faire à notre échelle c’est partager notre passion. Faire redécouvrir aux membres de nos familles et à nos amis, petits et grands, les joies de lancer des dés, tirer des cartes, et peut-être pour les plus téméraires placer ses premiers meeples, tout en s’amusant et se chamaillant dans la joie et la bonne humeur. Élargir leurs horizons et lire de nouveau dans leurs yeux l’excitation et la surprise qui vous caractérisait il y a vingt ans, devant cette armoire immense, un après-midi d’hiver en famille.

 

Saboteur c’est l’histoire de nains qui vont à la mine.
Comme la blague que l’on me faisait en CP/CE1 : trois nains vont à la mine. Le premier prend une lanterne, le second prend une pioche. Que prend le dernier ? La tête.
Sur cette amorce bien malheureuse, reposant sur un comique de répétition aussi éculé que bien mal échafaudé, j’essaie de véhiculer un message simple : Non, Saboteur est loin de n’être qu’un simple « petit jeu d’apéro » rapidement relégué au statut de « petit jeu pas prise de tête » : Saboteur est bien plus que cela.

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